vendredi 25 décembre 2009

Noël

Bonnita Troccoli est ce qu'on appelle psychic, voyante, et un jour, elle m'a prédit un avenir radieux dans un pays tropical quelconque. J'ai rencontré Bonnita Troccoli à la patinoire. Plus tard, j'ai appris que c'était la première fois qu'elle faisait du patin à glace mais pour le moment ce que je voudrais vous dire, ce que je voudrais vraiment vous raconter, c'est comment j'ai rencontré Bonnita Troccoli sur un lac gelé.

Je sors de chez moi, le ciel est bleu, le froid gifle et le soleil tape sur un sol blanc et rebondi comme un gâteau de mariage écrasé :


J'étais jambes boudinées dans un jean enfilé par-dessus collant polaire, joues fraîches et pied léger, mes bottes de randonnée plantées sur un VTT mauve ( ici, à Montréal, ressembler à un randonneur permanent, ce n'est vraiment pas un problème. Il est d'usage de manger des amandes dans le métro, d'affronter les vents polaires en chaussant ses raquettes, de porter des gants immenses et d'avoir sur son crâne — par delà tout conseil de visagiste avisé — une galaxie de peaux de bêtes aussi effrayantes les unes que les autres) et tout se passait bien en arrivant dans le parc Lafontaine par pédalages et dérapages. Avant de rentrer dans une espèce de gymnase-chalet, j'aperçus Bonnita Troccoli assise dans la neige, au bord d'un lac gelé, enfilant des patins blancs élégants.

Je louais pour onze dollars de patins à glace et de cadenas et j'entamais un combat contre des lacets malintentionnés comme des lézards en train d'exploser. Je fini par sortir patin-aux-pieds et mains-aux-murs et je m'élançait sur la glace comme une boîte de conserves rebondit sur des pavés. À peine avais-je entamé ma première glissade que Bonnita Troccoli se jetait violemment sur le sol. Je pensais : Elle, Elle me parle avec son corps. Et le diable dans ses yeux me disait : Ce que tu veux, Garçon, je l'ai. Je remarquais des larmes glacées sur ses joues et, maladroitement, je m'avançais pour l'aider à se relever.

" Vous pleurez ? "— dis-je.

" Oui, oui, oui mais ça va. Vous êtes Gwyneth Bison ? Le Chevalier Patinoire ? " — me demanda-t-elle avec l'air épuisé de quelqu'un qui arrive d'un long voyage.

" Mauve, noir et bleu, tel sont mes couleurs." — répondis-je, les bras le long du corps et les chaussures de randonné en L.

" Mais qu'est-ce que vous faites là ? "— dit-elle, les sourcils circonflexes.

" Ben, chai pas, je zone. " — dis-je, en tapant bêtement mon pied dans la glace.

" Alors, partons. Je vous emmène dans un chalet pour fêter la Noël "— dit-elle, se redressant fièrement comme un soldat grec.

" J'adore vos patins, Bonnita. On dirait les pieds d'Audrey Hepburn. Mais avant de partir, sachez bien que je ne suis pas votre frère, pas votre père, pas votre mari mais plutôt un genre d'ami."

Dans le métro qui nous emmenais vers la station de bus, j'essayais de conseiller Bonnita Troccoli pour mieux patiner, mais elle m'a trouvé nébuleux comme professeur. Elle m'a demandé de lui tenir la main, simplement. J'étais sur sa droite, sa main gauche dans ma main droite, et je lui ait dit : ' " Ma solitude a disparue. Vous me donnez une fièvre que je n'ai jamais connue, vous êtes un produit délicieux. Demain, je vous emmène dans ma voiture et on repeint la ville." et elle m'a dit : " Mais vous buvez le philtre d'amour numéro neuf ? Celui de Madame Ruth, la gitane aux dents dorées ? " ' et c'était comme si on tournait, tournait, tournait tout autour d'un lac et que le soleil disparaissait doucement derrière les arbres et que des guirlandes s'allumaient et que la neige reflétait des taches oranges au pieds des arbres noirs comme du bois brûlé.

Cette fois-ci, on pas loué de voiture ( nos conditions financières se dégradent à mesure que la neige s'entasse). On a pris le bus jusqu'à Sutton. Au travers des vitres du bus, ça ressemblait à ça :


Arrivé à Sutton, on a pris un café au Couche Tard et on a commencé à marcher dans la rue principale en tendant le pouce. Des chants de Noël accompagnaient notre arrivée, diffusés par des hauts parleurs accrochés à des lampadaires haussmano-européens. L'ensemble de la ville semblait factice comme la maison du père Noël. Un jeune homme de type sportif a jaillit d'un bar et nous a proposé ses services. Nous avons accepté. Il nous a présenté une amie qui nous a tout de suite invité à une " rave " qu'elle organisait chez elle. Pour la première fois depuis que je suis ici, je me suis senti oppressé par ce genre de franchise et d'hospitalité ( en plus de ce décor de téléfilm de fin d'année) très nord-américaine. Quelque chose d'artificiel planait sur mon estomac. On est vite fait passé chercher de l'argent à la banque Desjardins et la banquière s'appelait Mugette Chaussé. Et puis le jeune homme nous a emmené jusqu'au chalet :


On a trouvé les clefs cachées au-dessus de la porte, on a enlevé l'alarme, mis le ballon d'eau chaude en route et j'ai pris un interrupteur en photo parce que je le trouvais drôle dans tous les sens du terme :


Mon estomac se redressait, je sentais l'appel de la forêt— mon type d'hospitalité :


Une envie de faire des conneries comme on fait des conneries à 12 ans à commencé à piquer nos oreilles. J'ai dit à Bonnita Troccoli : " mets tes raquettes, on va chercher un sapin ". Et on s'est mis la tête dans la forêt, les pieds grossis par les raquettes, la joie dans la bouche, on a dégringolé des buttes de poudre, on s'est accroché les yeux dans les branches, on a mordu des bourgeons introvertis et suivit des traces d'animaux et finalement, on a ramené une branche de sapin volé sur le terrain du voisin :




Puis la nuit est tombée et on a regardé un documentaire flippant et québécois sur l'histoire du A-H1N1 :





( à la télé, sur cette chaîne dont j'ai oublié le nom, on a aussi vu que la présentatrice de la météo faisait , dans la même foulé —après la météo mais dans le même décor et sans coupure aucune — le tirage des chiffres du Lotto local ( on a aussi remarqué qu'entre les pubs, il n'y a pas comme en France, cette demi-seconde de noir qui vous permet de comprendre que vous passez d'une pub à une autre. Les pubs s'enchaînent dans un flot continu qui devient très troublant puisque qu'inséré ( le flot) au milieu d'une espèce de journal télévisé permanent qui répète les mêmes nouvelles en boucles et en direct ( un genre de marathon du JT ?) . On passe sans transition des nouvelles du monde à la pub, ce qui, pour des nouveaux comme nous, est assez bizarre ).


Le lendemain, on voulait se lever à 6h et passé toute la journée dans la forêt. Mais, quand on a ouvert un œil à 8h, la neige tombait en masse alors on s'est levé à 10h et on est partis vers la gauche du chalet vers 12h. Dans la forêt, on a trimballé nos joues rouges-tomates sous la neige qui tombait en silence. Bonnita Troccoli voulait que l'on raquette en rythme, accordés comme Do, Ré Mi ; légèrement comme Un, Deux, Trois ; facilement comme A, B, C ; moi j'ai dit d'accord et je me suis jeté l'épaule sur un sapin :




C'était beau :



Ensuite on a fait du stop pour aller chercher du pain dans le bled le plus proche ( Abercorn; 3km). Le stop, ça marche super bien ici ( un avantage : être accompagné d'une femme ) et on est revenu pareil, en stop facile. Le soir, Bonnita Troccoli a commencé à faire une poupée pour sa filleul :


et j'ai réparé mes clopes cassées dans la forêt :




Ensuite, Bonnita Troccoli a décoré notre branche de sapin suspendu avec ce qu'elle avait sous la main :






Le lendemain, on a encore fait des raquettes mais cette fois-ci on est parti en stop vers des chemins balisés. Les routes ressemblaient à ça :




et la promenade dans les chemins balisé à ça :




Avec des gros cailloux en plus :



et des arbres cassé en deux :



Bonnita Troccoli voulait que l'on raquette comme Un pour l'argent, Deux pour le spectacle, et je me suis encore jeté contre un sapin comme un con :



Et puis on est redescendu pour rentrer en stop avant la nuit et le soleil a fait une apparition tardive sur la cime des arbres :



En rentrant, c'était Noël. Bonnita Troccoli à fait un super bonhomme de neige pour commencer la fête :



Puis on s'est saoulé au vin blanc en mangeant du saumon et on s'est plongé dans un bain super chaud. On a attendu d'avoir vraiment très chaud comme des suédois et on est parti se jeté nu dans la neige à côté du bonhomme de neige :



On est revenu transformé de cette expérience :



qui a révélé toute la grâce de notre personnalité :



Pour le dîner, Bonnita Troccoli a mis ses belles boucles d'oreilles fabriquées par son amie, j'ai nommé Griselda Giarratano :



et après, elle m'a offert un poupée que je peux mettre dans ma poche si j'en ai envie :



Et c'était fini la Noël (pour une fois sans un coup de feu)

P.S : merci petit Jésus pour ce doux noël sans dérapages familiaux intempestifs et traumatisants.

2 commentaires:

  1. do never ever lie to a broccoli sister anymore, or she'll get you. And they mean business, lemme tell ya !

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  2. Felicitations, vraiment.
    C'est le genre de projet rêvé dont on parle tout le temps, sans oser le faire. Ta prose pleine d'humour m'a bien divertie et m'a presque fait oublier mon Noël pourri :)
    continue comme ça!
    bises
    Felicie (felicie.dupre@gmail.com)

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