mardi 12 janvier 2010

Last days

Ce blog va connaître une pause. Je rentre à Paris demain et je ne me sens pas fier. Je vais laissé Bonnita Troccoli seule, en plein hiver , alors qu'elle s'apprête à aller travailler dans la prison de Laval, loin au nord de l'île de Montréal. Elle risque de s'y faire pincer le cul par des Hell's Angels et elle va devoir ne jamais, jamais, leur dire où elle habite. Elle va tenter L'Incroyable Chose : fabriquer des marionnettes avec des gens dangereux dans des proportions que nous n'imaginons pas. Elle aura un ange gardien, un type qui devra veiller sur elle, nommé par l'organisation pour laquelle elle va travailler. Cette organisation est respecté en prison parce qu'aucun de ses membres n'est une poucave : Bonnita Troccoli ne dira rien de ce qui se passe dans ses ateliers à l'administration pénitentiaire mais Bonnita Troccoli ne sortira jamais un courrier pour un détenu. Voilà le deal. Peut-être que, si elle le veut bien, je raconterai ici ce qu'elle me raconte, mais bon ... enfin, on verra, peut-être qu'elle voudra bien le raconter elle-même, si elle en a envie et si elle en a le droit.



Je rentre à Paris pour faire un maximum de fric en un minimum de temps. Je serais de retour en avril. Il m'en faut encore, je n'ai pas eu ma dose, le pays est grand, immense, je veux aller le plus au nord possible, voir Sept-île, la sale ville industrielle, et encore plus nord, voir Manic 5, le plus grand barrage du monde, peut-être aussi voir les indiens tout au nord du grand nord, là où on se déplace plus qu'en avion et puis passer des semaines entières en canœ dans un parc national et ensuite, la Californie — whatever the fuck, je n'ai plus du tout envie d'être sédentaire.



C'est un peu cérémonieux pour un blog, mais avant de partir je voudrais remercier Dieu qui a inventé le RMI et tout ceux qui m'ont envoyé des messages d'encouragement ou qui m'ont accueilli avec enthousiasme, Nourisson, le hollandais volant, Ciao L., ma mère, mon parrain Alfredino, toute la famille Troccoli, Le Cartographe, Bingo, Parthenia, Roberto, Poster, Popo cucu, Wiki, Niko Kalsah, Denieul, la famille Blanchard, et puis tout les autres muets ou discrets — c'est la merde ce genre de liste ça provoque toujours des inimitiés.

à tantôt,

Gwyneth

jeudi 7 janvier 2010

La capitale de l'observation des baleines

L'autre jour, Thu Troccoli, la sœur de Bonnita, est passée par-dessus un morceau arctique :



Ensuite, elle s'est installée dans notre salon avec sa doudoune vert pomme et elle nous a offert plein de cadeaux en gardant posé sur sa tête son bonnet en motifs de flocons de neige, noir blanc et rouge. Entre des cigarettes, des caramels, du champagne et un saucisson, il y avait un recueil de récits sur le grand nord de Jack London. Le lendemain, elle est partie avec sa sœur courir le boxing day ( les soldes ( on devait partir bientôt et elle se cherchait des collants)) et j'ai lu L'appel de la forêt — l'histoire d'un chien domestique qui retourne à l'état sauvage. Le surlendemain, les sœurs Troccoli sont parties faire du ski et moi j'ai découvert L'esprit de Porportuk. Jack London parlait de gens qui savent mourir dignement et de gens qui ne savent pas mourir dignement, il parlait de barbes gelées et d'héroïsme, de raquettes et de vraie camaraderie, de chiens de traîneau et de ruées vers l'or pathétiques, du Klondike et de grandes blagues cruelles, de famine et de témérité inouïe, du Yukon et du grand silence blanc, des lois primitives et d'exploits racontés rapidement entre deux jurons, de Karl Marx et de l'art d'allumer un feu quand tes doigt sont gelés. Je n'avais pas de tune pour accompagner les filles au ski et toutes ces histoires d'honneur et de bêtise butées m'ont poussé à mentir aux sœur Troccoli. Je leur ait dit que je voulais rester à la maison pour dessiner, que le ski c'est pour les pédés, et j'ai commencé a vraiment me prendre pour un trappeur qui assume. On avait décidé de l'emmener ( la belle-sœur) à Tadoussac, la capitale de l'observation des baleines, pour fêter la nouvelle année et j'avais vraiment hâte de quitter la ville.

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On a pris le bus à 6h du matin et il n'y aura pas de photos avant Québec parce que nous avons dormi dans le bus et qu'il est impossible et vraiment trop chiant de documenter toute sa vie. Arrivés à Québec, on a fait une escale devant un gros paquet de neige poussé dans le coin d'un parking :



et puis on est reparti. En quittant Québec, on est passé devant une usine à nuages :


et on a vu que le fleuve Saint-Laurent commençait à geler :



et on est repassé devant l'église Saint-Anne de Beaupré, son-Mac-Do-ses-motels-et-son-cyclorama-de-Jérusalem :


et on est passé devant des camions sous la neige :



Finalement, quelque chose de vraiment grand a commencé à défiler sous nos yeux :


C'était bien la première fois que je voyais des forêts aussi majestueuses ( Forêts Boréales). Assis bien au chaud sur mon siège de bus, avec le paysage qui défile sans jamais me blesser, j'éprouvais un grand sentiment mêlé de puissance et d'euphorie. Alors, quand nous sommes arrivés pour prendre le bateau qui allait nous faire traverser le fjord du Saguenay et qu'on a vu ça :

Turbidité : État d'un liquide trouble.

je — et les sœurs Troccoli aussi — suis devenu presque hystérique. On était coincé dans la file de voitures qui allaient s'engager sur le traversier et des gouttes d'eau venaient s'écraser en gelant directement sur les grandes vitres du bus, mais nous, on se demandait s'il était possible de faire du canoë sur une rivière pareille, on se demandait si les vagues étaient vraiment grosses et si le vent soufflait aussi fort qu'il en avait l'air : on ne savait rien de ce que l'on voyait, rien. Le bus s'est avancé sur le bateau et on trépignait d'impatience. On voulait descendre du bus et voir le vent. Le bus s'est garé sur le pont avec d'autres voitures et on est descendu et on a tout de suite été plaqué contre une paroi en fer. Je n'ai jamais vu un truc pareil de toute ma vie, le vent soufflait tellement fort qu'il était presque impossible de marcher, les embruns gelaient aussi vite qu'ils volaient et ça, mon pote, ça te pique les joues comme des aiguilles. Je sentais des rafales venir mordre dans mes organes. Sans gants, mes doigts gelaient en trente secondes et je les gardais bien serrés les uns contres les autres au fond des poches de ma veste de mi-saison. Je me cachais dans mon écharpe et j'avais mal à mes pommettes, mes deux seuls morceaux de peau à l'air libre. J'ai du rester 10 minutes dehors. J'ai un peu marché sur le pont en essayant de garder mon équilibre entre les voitures et j'ai regardé le paysage. Pendant ce temps-là, Thu Troccoli a failli ne jamais revenir de l'escalier qu'elle avait choisit de grimper courageusement. Je ne sais pas où était Bonnita Troccoli. On a fini par se retrouvé sous un abri, à côté d'un moteur. En dessous de nous, 350 mètres en dessous de nous, il y avait peut-être des populations animales enclavées, des vestiges de la dernière glaciation, des morues arctiques, des agones atlantiques, des lycodes polaires, des unernaks, des tricornes arctiques, du flétan du Groenland, des myes communes, du crabe des neiges, de la crevette nordique, peut-être même quelques dorés jaune et quelques ouananiches, qui glissaient silencieusement dans des eaux profondes bourrées de mercure, vestiges des usines de traitement de l'aluminium de Alcan et d'Arvida. Mais ça aussi, on en savait rien. On prenait le fjord en pleine tête, on voyait une solitude inconnue et on sentait que cet endroit était le genre d'endroit qui pouvait éprouver jusqu'en leurs tréfonds l'âme humaine.

Puis on est arrivé à l'auberge de jeunesse . On a été accueilli par le patriarche Roland Penalver dans une ambiance bonnets, cheveux long, grosses chaussures, saluts francs, grands sourires, barbes noires, escalier en bois, table de billard, dessin amérindiens, grand bancs rustiques, canapés récupérés plus ou moins confortables, poutres apparentes, vaisselle auto-géré, guitares, bande de jeunes.

On a jeté nos sacs dans la chambre que Roland Penalver nous a atribué et nous sommes repartis nous promener dans le vent le plus fort qu'il m'ait été donné de traverser ( les sœurs Troccoli sont inépuisables, et une fois réunies, c'est comme si leurs forces se quadruplaient. Mon orgueil m'obligeait). On s'est baladé pendant une heure et on a pris en photos de belles choses qui, je l'espère maman, te plairont :





On a aussi suivi une petite piste qui longeait le fleuve, on a marché sur des rochers couverts d'une fine pellicule de glace, on est revenu face au vent vers le village et on s'est acheté des amandes et un mélange Colorado à l'épicerie. On est rentré alors que la nuit tombait ( c'est lors de cette première promenade que Bonnita Troccoli a entamé son cycle de fous rires, cycle qui s'avérera plus tard très utile pour me maintenir vivant). On a commencé à faire connaissance avec les habitants de l'auberge de jeunesse en buvant une bière devant ce qu'ils appellent un 5 à 7 et qui est un genre d'apéro musical. Un type qui semblait connaître tout le répertoire de Jacques Brel, et bien d'autre choses encore ( il était bon musicien), épuisait son accordéon dans un décor de cale de bateau en bois, proue du bateau peinte derrière la scène avec horizon flamboyant et tout le bordel pittoresque. Quelque types buvaient aussi des coups et on a croisé Micheal Marinese dont nous reparlerons tout à l'heure. Comme Jacques Brel, ça me branche moyen, je suis parti lire dans le coin salon. Là, il y avait Barrister Ali Bello, l'homme qui connaît les castors et qui était en train de regarder Star Wars, planté dans un sofa de velours vert sombre, les jambes croisées, un œil sur la télé. Barrister Ali Bello va être notre guide pour la randonnée en raquettes de demain. Il ressemble à ça ( c'est vraiment lui, c'est pas une blague, j'ai pris en photo une photo posé sur le bureau de l'accueil) :


Je me suis assis à côté de lui et je lui ai demandé :

- " Barrister Ali Bello, tu crois qu'on va voir des castors ? "
- " Barrister Ali Bello, c'est grand comment un castor ? "
- " Barrister Ali Bello, ils font quoi les castors en ce moment ? "

Et Barrister Ali Bello m'a dit " moi, j'adore regarder des films avec des bibites débiles ( ici on dit bibite pour bêbête) ". Il m'a aussi appris que les castors, c'est une sacrée grosse bestiole (la longueur d'un labrador pour la hauteur d'une table basse) capable de débiter un arbre entier avec ses dents et qu'en ce moment les castors sont planqués dans leur maison, ils hibernent et l'entrée de leur maison ( ils sont malins) est sous la glace du lac, le lac qui est derrière l'auberge. Du coup, ils ne peuvent plus sortir de leurs maisons mais aucuns prédateurs ne peut rentrer dans leur tas de bois. Ils glandent en grignotant l'écorce de leur maison, j'imagine empilés les uns sur les autres dans un fatras puant de fourrures marrons, de queues plates et de dents gigantesques.

Après le 5 à 7, on a du manger me-souviens-plus-vraiment-quoi, et puis il y a encore eu un concert un peu trop Manu Tryo Sautillant pour que je l'apprécie sincèrement. On a bu plein de bières et j'ai proposé à une meuf qui se plaignait d'être ensevelie sous la neige de lui déneiger son toit contre un peu d'argent mais elle voulait me payer en tourtières ( une tarte à la viande locale) et en une seule caisse de bière. Au début, je faisait des allers retours entre le fumoir et le bar et bientôt, je ne suis plus resté que dans le fumoir, entouré de grands éclats de rires et de givre magnifique. On peut dire que nous avons été accueilli chaleureusement. Ça, on peut le dire. On est resté tard, assis dans le fumoir, on a fumé plein de joints avec Gary Thuerk, chômeur l'hiver et conducteur de bateau l'été, capitaine trimballeur de touristes en lac géant et accessoirement producteur de tondreuse ( mélange de gin et de glandes anales de castor qui goûte la forêt en christ (c'est bon et médical, recette amérindienne, si vous voulez en savoir plus sur le castoréum et les massacres odorants, cliquez ici ), et les deux types qui faisaient la musique sautillante, Jermaine Book et Scotty Campanile. Il y avait aussi Mr. Jeslie Chui, un charpentier blanc qui habite en Martinique et qui était touriste comme nous. Gary Thuerk, Jermaine Book et Scotty Campanile nous ont enchaîné de blagues toutes plus potaches et graveleuses les unes que les autres, en riant surtout eux-même de leur propres blagues et, bizarrement, quoique parfois très embarrassant, ce n'était pas complètement désagréable. Les blagues débiles et la vulgarité affichées servaient peut-être d'invitation à une amitié légère, une amitié de vacances, comme une manière de briser la glace à coup de marteau pour se faire du fun en mâsse, genre. Impossible de refuser une telle invitation, même maladroite et parfois carrément lourde. On venait de rencontrer le noyau dur. On se laissait faire et on regardait les numéros rodés se dérouler. Gary Thuerk et Jermaine Book et Scotty Campanile sont des habitués de l'auberge et ils sont là pour une chose : faire que les gens s'amusent avec eux. Nous les avons aidé dans leur travail jusqu'à au moins trois heures du matin et on est parti se coucher en se demandant s'ils étaient toujours comme ça ou si le vent de cet après-midi leur avait tapé si fort entre les deux oreilles qu'il n'y restait plus qu'un drôle de glaçon gras et rigolard.

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On s'est réveillé juste à temps pour le petit déjeuner. J'ai mangé des rice crispies, un œuf, une crêpe, deux tartines de confiture de mûre et un café et je suis remonté dans la chambre pour m'habiller. Hier, je me suis aperçu de mon sous-équipement— il me manquait un coupe-vent — alors j'ai décidé de me foutre du papier journal autour de la poitrine. Tout autour de nous, les préparatifs de la fête du nouvel an commençaient, on s'apprêtait à accueillir 250 personnes :



Le rendez-vous avec avec Barrister Ali Bello pour faire une véritable randonnée en raquette était à 13h30 et on est parti à 13H30. Il n'y avait pas vraiment de vent. On est passé sous la route en empruntant un tunnel rond et piéton et au bout du tunnel il y avait le Lac. On a chaussé nos raquettes :


On a suivit Barrister Ali Bello avec respect. On a traversé le lac en suivant une piste déjà empruntée puis on est rentré dans la forêt boréale, qui est étonnement dense et pleine de petits arbres maigrichons, rien à voir avec des trucs comme ça :


En vérité, les forêts québécoises, c'est pas du grand sapin, roi des forêts, mais du petit arbre qu'on peut broyer pour faire de la pâte à papier journal :



Pendant la randonnée, on a cavalé en haut en bas, à gauche à droite, sous des branches, par-dessus des bosses, en glissant, tombant, courant. On s'est accroché la laine un peu partout :



on a grimpé une butte avec nos doigts et on est arrivé à un point de vue, juste au-dessus du fjord :


Là-haut, on a mangé des figues séchées et un peu de notre mélange Colorado. Ensuite, on est reparti vers un autre point de vue et on a descendu une grosse bosse en glissant sur nos fesses, comme au toboggan. Puis on est remonté sur une autre grosses bosse, et on a vu un nouveau point de vue (voir un point de vue, vient du latin speculum « miroir ») :



À un moment, Barrister Ali Bello nous a prévenu que nous allions traverser une séquence farfelue (sic.) et on est passé sous un tronc d'arbre écroulé en glissant sur nos fesses. En route vers notre dernier point de vue, Barrister nous a dit de faire attention. Dans ce coin-là, il y a des sources qui jaillissent de terre, l'eau de ces sources est à 10°, elle ne gèle jamais et elle est cachée par la neige. Si on marche dessus, la neige s'effondre et on se retrouve avec de l'eau jusqu'au genou. Je serais bien incapable de reconnaître ces endroits scélérats et je me suis borné à suivre Barrister Ali Bello jusque-là :


Et puis on est rentré à la nuit tombante :



J'ai lu Les milles douzaines d'œuf et j'ai fait une micro-sieste pendant laquelle j'ai fait un rêve cruel :


Quand je suis descendu pour le dîner, il y avait plein de gens nouveaux qui étaient venu pour le nouvel an. Après le dîner, on est parti faire l'activité glissade-avec-des-tripes. Les tripes c'est des chambres à air de tracteur :



La piste à glissade est un peu plus haut dans le village et on est parti vers elle en troupeau dispersé. Arrivé là-haut, avec Mr. Jeslie Chui le charpentier, on s'est jeté les premiers sur une tripe moyenne et on a descendu une pente abrupte pendant vingt mètres avant de chuter pitoyablement la tête dans la neige. On est remonté et il y avait du vin chaud et tout le monde commençait à se jeter en tripes dans la descente, comme des lemmings qui se suicident. Kofi était là et il avait l'air d'hésiter à se jeter en tripe. Pendant ce temps-là, j'ai refait une descente avec Bonnita et on a tourné sur nous-même en regardant la lune et en hurlant. Il y avait différentes tailles de tripes. Des moyennes et une grosse. Sur la grosse tripe, jusqu'à 6 personnes peuvent s'asseoir les unes sur les autres, agrippées aux jambes de l'un pendant que l'autre tient l'épaule de chacun, comme des castors dans leur cabane. Il y avait aussi des crazy carpet, une activité plus individuelle :



Il suffit de s'allonger sur le crazy carpet et de tenir les poignées et c'est comme ça que l'on peut faire de la métaphore " aller ventre à terre " une réalité. À un moment, des gens on fabriqué une bosse avec de la glace et de la neige. Gary Thuerk a pris la bosse le premier, seul, allongé et agrippé au noir donuts géant. Il s'est entaillé le nez en retombant sur une partie gelé de la neige ( la croûte). Ensuite, Jermaine Book m'a foutu sur la tripe et ce salopard de musicien bondissant a failli me tuer. On s'est jeté sur la bosse. Arrivé en l'air, je suis parti sur la gauche et lui droit devant pendant que la tripe noire nous passait en dessous. Je suis retombé sur le coude et mon cou a craqué. J'ai maudit les cheveux bouclés, le gros nez et la vaillance autochtone de Jermaine. On a remonté la pente et j'ai commencé à essayé de répandre une rumeur comme quoi Jermaine Book n'est rien qu'un sadique qui veut tuer du français mais d'autres se préparaient déjà à prendre la bosse avec la plus grosse de toute les tripes.

Il y avait cinq ou six personnes entassé sur le rond obèse, quand Kofi ( qui est grand et plutôt costaud) s'est décidé à faire sa première descente. Il s'est mis par-dessus tout le paquet et le reste n'a été qu'un mélange informe de membres recouvert d'habits de ski disparaissant dans un nuage de neige. Je crois que la bosse à déclenché une frénésie chez Kofi car deux minutes plus tard, je l'ai vu passer en tripe moyenne, seul sur la piste sans bosse, hurlant à la lune " yalla !", le poing levé tel je ne sais quel conquérant Idrisside. Entre chaque descente, on buvait du vin chaud et on s'enlevait la neige qui s'était glissé en douce entre nos couches de vêtements. Vers la fin, on fait une grosse tripe avec les sœurs Troccoli et la pauvre Bonnita s'est pris sa sœur sur la crâne, alors que je ne pouvais absolument pas la protéger, puisque j'étais encore une fois parti sur la gauche ramasser mon visage dans la neige. Bonnita a vu un éclair blanc et elle est restée sonné pendant dix minutes. Quand elle s'est relevée tout le monde s'est mis à applaudir pour la réconforter. Puis on rentré par le même chemin et j'ai essayé de pisser mais mes doigts ont gelés net et c'est devenu impossible de défaire ma ceinture tellement ils me faisaient mal.

De retour à l'auberge, vers 23 heures, ils jouaient tous au Hockey-Bottines. Moi, je me suis dis : ok, je vais tout faire les activités, rien à foutre, vive la colo. Je me suis précipité sur la patinoire, j'ai empoigné une crosse et j'ai entamé une grande partie de Hockey-Bottines. Comme son nom l'indique, le Hockey-Bottines se joue sans patins mais sur la glace et avec des bottines, c'est à dire des chaussures normales, aucun crampon en vue. Comme pour le hockey sur glace, il s'agit de courir après une rondelle noire, le palais, et d'essayer de mettre cette rondelle dans les buts adverses. Mais à la bottine sur glace, on se retrouve à courir dans le vide, les jambes en cercle tourbillon, comme bip-bip le coyote, et on tombe en dérapant avec plus ou moins de style. Le crazy carpet m'avait motivé et j'avais déjà fait du hockey sur gazon dans la jolie colonie du Lac de Serponçon, en 1993. Au début, j'ai mis deux but. Puis je suis tombé quatre ou cinq fois, j'ai cavalé en remontant et j'ai cavalé en descendant, j'ai tapé dans la crosse des autres, je me suis jeté par-terre pour intercepter la rondelle, j'ai repoussé des ennemis et j'ai prêté main-forte aux amis jusqu'à deux heures du matin. Ensuite, j'ai pris une douche, bu une bière avec les sœurs Troccoli, et j'ai rencontré Louis Brain, qui habite dans un van et qui voulait partir faire du parapente dans les dunes qui sont à la sortie du village. Je lui ai dit qu'il y avait des avalanches sur les dunes et on a fumé un joint. Quand je me suis couché, je me suis senti fourbu et je me suis endormi dans un lit superposé :


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Quand j'ai essayé de sortir de mon lit, au petit matin, mes jambes n'ont pas tout de suite voulu m'obéir. Ma belle-sœur Thu, est rentrée dans la chambre en disant qu'il fallait se magner pour aller prendre le petit déjeuner et je l'ai détesté comme tous les porteurs de mauvaise nouvelle se font détester. Bonnita m'a dit que je puais dans ma bouche comme une hécatombe et j'ai fini par maudire les sœurs Troccoli en mangeant un oeuf, deux crêpes, deux tartines et un café. Il n'y avait plus aucun coin-salon parce qu'on préparait la fête en installant de grandes tables genre fête de la bière et, comme un chat pendant un déménagement, je me suis rapatrié dans ma chambre où j'ai commencé Construire un feu. Je me suis rendormi jusqu'à 13H. Quand je me suis réveillé, les Troccoli n'étaient plus là et j'ai pris un café, fumé une clope et j'ai décidé de partir voir les dunes à la sortie du village. Dehors, il faisait gris et c'était comme beau comme ça :




(photos de Thu Troccoli )

J'ai commencé à marcher sur la route. J'ai marché sur la route et j'ai vu un panneau Dunes 2Km, alors j'ai continué. Je suis arrivé dans un genre de hameau, une rue, cinq maisons. Devant le hameau, un panneau rectangulaire : ATTENTION À NOS ENFANTS ! CONDUISEZ AVEC AMOUR ... Et aussi, sur le panneau, des petits cœurs rouges dessinés un peu partout. J'ai continué à marcher sur la route et j'ai croisé un ancien. Je lui ai demandé c'est par-où-les-dunes ? et il m'a répondu qu'il y avait encore un boute, 6 Km. Comme j'avais vu le panneau 2Km, je me suis dit qu'il exagérait et j'ai continué à marcher. Au bout de 5 Km, je me suis aperçu que le vieux avait dit vrai, mais j'étais trop avancé pour faire demi-tour. J'avais mal au jambes des chutes répétées du Hockey-Bottines, mal aux côtes des excès du crazy carpet, mal à l'épaule des bonds de la tripe noire, mais je voulais voir les Dunes. J'ai pensé que je retrouverais les autres là-bas, mais quand je suis arrivé, il n'y avait rien d'autre que le Van et la voile de parapente de Louis Brain. Il devait être dans son van et je n'ai pas voulu le déranger. J'ai été regardé un point de vue ( j'avais oublié l'appareil photo) en marchant péniblement dans la neige ( je n'avais pas de raquette). Je suis resté un peu là. Puis j'ai eu froid et j'ai commencé à suivre une piste déjà tapée par des gens en raquettes. Je me suis enfoncé dans un début de forêt, je suis passé devant un restaurant complètement fermé et j'ai vu que la piste menait à un belvedere alors j'ai suivi la piste. Je suis passé sur un pont qui enjambait un torrent presque gelé et c'était beau. Ça a commencé à grimper un peu plus sec, mais la piste était préparée par les raquettes des autres, alors j'avançais. Puis la piste s'est arrêtée net. Plus de traces. J'ai fait dix mètres avec de la neige jusqu'à la taille et je me suis senti comme une merde, épuisé, en sueur, les pieds mouillés et aucune énergie pour continuer. J'ai essayé de rouler sur moi-même pour redescendre mes dix mètres mais tout ce que j'ai réussi à faire c'est de me mettre de la neige sur la peau et de trempé encore plus mes vêtements ( je n'avais toujours pas de vêtements de ski, j'étais en jean, en manteau et j'avais zappé le papier journal). Finalement, je suis redescendu en titubant, la bouche sèche, abruti au point de ne pas pensé à sucer de la neige. Quand je suis sorti de la piste, j'ai vu Louis Brain et j'ai sifflé doucement pour le prévenir de mon arrivée. Je lui ai demandé un peu d'eau et il a pris dans son van une bouteille en plastique coupé en deux qu'il a rempli de neige en bondissant comme un cabri. On est monté dans son van où on a commencé à faire fondre la neige sur son réchaud qui dégageait une odeur âcre comme une vielle chaudière au fioul. Dans le van, il faisait froid sombre et humide. On voyait de la fumée sortir de nos vêtements comme celle qui sort de la peau des chevaux de courses quand ils s'entraînent à six heures du matin sur les pistes de Maison-Laffite. On a discuté un peu, j'ai appris que Louis Brain, en plus de fabriquer des voiles de parapentes ( son boulot actuel) était programmateur de jeux-vidéos. Au bout d'un moment Louis Brain m'a dit : " Tu fumes-tu ? " et moi je lui ai dit : " ouais, je fume-tu"* et on a fumé un joint qui a achevé de me piétiner la cervelle. Je suis sorti du van. La nuit commençait à tomber et j'ai repris la route. J'avais froid et j'ai trottiné pour me réchauffer. J'avais un peu peur. Il n'y avait rien que des arbres et de la neige. Une première voiture est passée et je lui ai présenté mon pouce mais elle a continué sa route. Je devais avoir une sale gueule de fumeur de joints frigorifé et je trottinais les yeux mi-clôts. Une deuxième voiture s'est arrêtée en dérapant pendant au moins dix mètres, j'ai couru, je suis monté dedans et j'ai été accueilli par un père de famille avec sa petite fille. Ils m'ont parlé en Québécois Hardcore, je comprenais rien, j'étais stone, mal à l'aise et complétement parano. Il faisait nuit. On est passé chercher la fille de mon chauffeur, qui est sortie d'une maison rebondie comme une tarte à la crème, un peu comme celle-là :



La fille est rentrée dans la voiture dans une effluve lourde de parfum bon marché. Je flippais. Je n'arrivais pas à parler. J'avais froid. Ma bouche était sèche et dès que j'essayais de dire un truc, on ne se comprenait pas et je bégayais en essayant d'imiter l'accent québécois. Mon chauffeur s'est encore arrêté pour acheter du vin et je me suis retrouvé seul avec les deux gamines. La plus petite me regardait, un peu condescendante, comme si j'étais un animal stupide, et moi, je n'osais pas la regarder alors je regardais la vitre où je voyais le reflet de la plus grande et de sa bulle rose de chewing-gum qui gonflait et se dégonflait en suivant le rythme de ses respirations. La radio diffusait un genre de métal-pop puis ça été la fin du morceau et le présentateur a déroulé ( en hurlant, carrément hystérique) une liste de sujets tabou pendant le nouvel an : la politique, la religion, la grippe A/H1N1, etc. Je n'osais pas bouger et la neige de mes bottes fondait sur le tapis de la voiture. Finalement il m'ont lâché devant l'auberge et j'ai eu beau prendre une douche et resté au chaud, j'ai continué à avoir froid. J'ai refusé une invitation au Hockey-Bottines et la fête a commencé.

À 18h on a célébré le nouvel an français, avec du pastis au mètre et le type et son accordéon qui connaissait tout Jacques Brel par cœur . Roland Penalver, le patriarche fondateur de l'auberge, a fait un discours rappelant les origines françaises des Québécois ( comme si il y avait de quoi être fier) et un type s'était déguisé en français. J'avais l'impression de passé le nouvel an dans une maison hanté :



Roland Penalver, le patriarche, a eu un accident de voiture à 16 ans et il se déplace maintenant dans un fauteuil roulant. Je n'étais pas encore sorti de ma torpeur paranoïde et pendant le diner j'ai vraiment cru qu'il me regardait comme si c'était de ma faute, son accident. Il me regardait dans les yeux d'un air accusateur, et j'ai dit ça à Bonnita, je lui ai dit :" mais moi, j'y suis pour rien dans son accident, pourquoi il me regarde comme ça lui ? ". Je l'ai évité pendant toute la soirée. Je n'arrêtais pas de penser à ce panneau CONDUISEZ AVEC AMOUR ... Au dîner, dans le désordre, on a mangé du crabe, de la tourtière, du hareng, du caribou, du phoque, des moules, de la salade, du vin, et du pain aux noix. Entre chaque service, Roland Penalver faisait un petit discours de sa voix forte et plus il parlait, plus il m'effrayait. Pendant ce temps-là, tout le monde était très gentil avec tout le monde et le panneau ATTENTION À NOS ENFANTS ! CONDUISEZ AVEC AMOUR... et ses petits cœurs rouges dessinés un peu partout me restait collé dans le crâne. Je ne sais pas comment faire pour conduire avec amour, je ne sais même pas ce que ça veut dire. Je suis resté persuadé que Roland Penalver était méchant jusqu'à la fin du repas et la fête a encore commencée. Les tables ont dégagées. Un groupe jouait son machin jazz-rock complexe qui faisait quand même un peu chier tout le monde. Une foule impressionnante pour un coin aussi paumé. J'errais de bière en bière, les jambes raides, courbaturé en tabarnak, cherchant quelques visages amicaux. Je me sentais affreusement seul en face de l'amour Québécois et je regardais ça comme un accident de voiture. J'allais et je venais, sans but, en maudissant ce pays de butors. J'ai retrouvé Bonnita Troccoli. J'ai dit à Bonnita : " Moi je ne sais pas quoi faire de tout leur amour " et on eu un moment de décompensation, un rire fou, en pensant à la façon québécoise de dire bêbête . On a tout lâché, les tu-veux-tu?, les en mâsse, les du fûn, les ben magané, les j'capote, les pas pire , les Tadou pour Tadoussac, les carrément fucké et les complètement croche en pleurant d'un rire bête. J'ai commencé à me détendre et a avoir chaud aux pieds. Dans l'auberge, la tradition veut que l'on roule 180 pétards et qu'ils soient distribué à minuit pile. Minuit est arrivé. Tout le monde ou presque a allumé un joint d'herbe ( des feuilles, pas d'effets, ça fait juste l'odeur) et du coup l'alarme de l'auberge s'est déclenché et quatre voitures de pompiers sont arrivées. Ce n'est pas clair si, chaque année, les pompiers interviennent alors que tout le monde allume les 180 joints. Et puis, on a retrouvé Micheal Marinese qu'on avait rencontré le premier soir. Micheal Marinese le charcutier. Micheal Marinese qui fabrique des saucisses délicieuses. Micheal Marinese, c'est un genre de géant très subtil. On a longuement parlé de saucisses, de saucissons, et des progrès remarquables du Québec en matière de fromage et de charcuterie. Il était avec un pote, un arpenteur, un géomètre du génie civil, un mec qui mesure les routes avec un trépied jaune, et qui venait de Sept-îles. Ensuite, fin de party confuse, drogue au sous-sol, rigolades diverses, vers cinq du mat' tentative de danse et puis dodo 2010.

* le double tu sert de mode interrogatif en Québécois vulgaire.

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Le lendemain, pour se remettre d'aplomb, à la tombée de la nuit, on a été marché sur le lac avec les sœurs Troccoli :











et on est rentré à l'auberge en passant devant une benne à ordure :



On a bu des bières. Bonnita Troccoli s'est essayé au Hockey-Bottines. Et on s'est couché vers 3h.

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Le lendemain, on reparti à Montréal ( on a pas vu de baleines. En ce moment, elles se reproduisent aux caraïbes) :